Une lettre d'introduction, dont nous disposions auprès de l'ingénieur des ardoisières de Bacara, nous avait valu le plus cordial accueil : une partie de la matinée s'était passée dans les ateliers de l'exploitation, où nous avions vu les blocs, au sortir de la mine, débités au ciseau selon l'épaisseur voulue et taillés ensuite au découpoir mécanique suivant les formes demandées. L'après-midi devait être employée à descendre « dans le fond ».
Les ardoisières des Ardennes ne ressemblent nullement, en effet, à celles de l'Anjou, dans lesquelles l'exploitation se fait le plus souvent à ciel ouvert, et où les ouvriers qui débitent et qui taillent sont seulement abrités par des claies à tue-vent [ce qui n'est plus vraiment d'actualité en 1904]. Ici, le travail d'extraction a lieu « dans le fond », c'est-à-dire sous terre, dans des galeries perpendiculaires à un puits de descente et fort analogues aux galeries des houillères. Quant à la mise en œuvre des blocs, elle se fait dans des ateliers clos et couverts, à cause de la rudesse du climat.
Ayant donc revêtu des costumes ad hoc, nous descendons à pied l'escalier en pente douce qui conduit « dans le fond » ; et là, nous prenons une des galeries latérales aboutissant à la partie de la mine en cours d'exploitation. Le pic des mineurs a circonscrit une section de la veine fissile que la dynamite a fait tomber ensuite, et maintenant, les ouvriers sont en train de partager la section abattue en blocs de 50 à 80 kilogrammes, que le chariot, mû par un treuil, va monter aux ateliers.
Le long des parois humides et noires, la flamme vacillante de nos chandelles allume de furtifs reflets ; on patauge ici, et là on trébuche ; il faut se courber et même, par instants, glisser sur le dos pour atteindre la partie de la galerie déjà déblayée : un ouvrier s'interrompt pour lever vers les visiteurs son maigre visage noirci, où la tache blanche des yeux s'élargit étrangement:puis nous nous enfonçons dans le silence et dans l'ombre, tandis que va s'affaiblissant de plus en plus derrière nous le bruit sourd d'un pic entaillant la veine.
Nous voici parvenus à l'extrémité de la galerie : là-haut, à quelque deux cents mètres, un petit disque lumineux indique l'orifice du puits, vers lequel nous remonte lentement la « cage » des ouvriers.
La promenade a été de tout point captivante, mais quelle sensation que celle de se retrouver à l'air libre, après ce séjour « au fond » ! Il semble que les arbres soient plus verts, le ciel plus bleu, l'air plus vif. "